La Mort de la Terre : la triste beauté

« Elle alimente la dimension tragique d’une œuvre qui présente au lecteur un crépuscule doux-amer. »

Désert craquelé

L’agonie écologique a pris des formes très différentes dans la fiction, de la violence automobile hors-sol dans Mad Max à la dystopie totalitaire dans Soleil Vert en passant par l’échappée spatiale dans Sid Meyer’s Alpha Centaury. Il est néanmoins arrivé qu’elle prenne une forme mélancolique. Publié en 1910, La Mort de la Terre de J.-H. Rosny aîné s’inscrit dans cette perspective. Méditative et poignante, cette longue nouvelle est caractérisée par le lancinant vacillement d’une humanité épuisée par sa propre vie. Elle est aux antipodes du scientisme qui florissait dans certains discours, en particulier politiques, avant la Première Guerre mondiale. S’il faut se garder d’opposer frontalement cette œuvre aux romans de Jules Verne, constamment présentés comme technophiles, comme le fait sa notice Wikipédia au moment où ces lignes sont écrites (Vingt-mille Lieues sous les Mers est-il technophile ? Le Château des Carpathes ? Il s’agit d’une étrange relecture, pourtant tenace, comme l’a souligné justement Gérard Klein…), il est certain que La Mort de la Terre s’inscrit dans une logique que l’on qualifierait aujourd’hui de décroissantiste. 

Plusieurs centaines de milliers d’années dans l’avenir, le genre humain survit dans les restes de sa puissance. Il s’est regroupé dans des oasis de vie, entouré par les déserts qu’il a lui-même créés. Il dispose encore de machines, comme des extracteurs d’eau ou des avions, mais les ressources se font rares et il est constamment menacé par des tremblements de terre. En outre, une étrange espèce préconsciente, les ferromagnétaux, prolifère sur les métaux disséminés aux quatre coins du globe. Un homme seul découvre par hasard une solution temporaire au problème d’eau qui constitue l’essentielle préoccupation de l’espèce, mais cette solution s’avère fragile. Elle alimente la dimension tragique d’une œuvre qui présente au lecteur un crépuscule doux-amer. 

Image de la BD La mort de la Terre
Adaptation de La Mort de la Terre par Robert Bressy en 1976.

La trajectoire humaine décrite est celle d’un inéluctable épuisement des ressources sur le modèle brandi aujourd’hui par les collapsologues. La thermodynamique nous condamne à consommer toute ce que la nature a mis à notre disposition et la technologie ne peut qu’aménager ou accélérer cette évolution. La Mort de la Terre constitue l’une des reformulations fictionnelles d’une tradition philosophique de type écologique, tradition qui s’exprime au XIXe siècle avec des auteurs comme Elisée Reclus ou à la fin du XXe siècle avec le Club de Rome. Elle se fonde, en simplifiant, sur le présupposé d’après lequel le progrès technique est hors-sujet en ce qui concerne le problème de l’épuisement des ressources, du moins en dernière analyse. Face à elle, se dresse une vision fondée sur l’innovation comme solution à ce problème. L’économiste William Nordhaus et son modèle DICE ont récemment argumenté en ce sens. Exprimé plus directement, il s’agit de savoir si l’humanité doit se modérer ou se dépasser, si elle doit être économe au sens étymologique ou si elle doit être économiste au sens classique. J.-H. Rosny aîné exprime l’une des plus fortes illustrations de la première tendance avec une œuvre dont la lecture incite à la tempérance. 

Auteur : Fakh

Master en byzantinologie, porteur du syndrome dit "d'Asperger".

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